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Best of CR 2012 - 2eme place - Marathon de La Rochelle : Lettre à Pascale

récit course à pied

Auteur: Boris - 110 pts

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Chère Pacale,

Indéniablement, nous étions faits pour nous rencontrer. Ensemble, nous avons vécu une histoire éphémère. Par la force des choses, nos routes ne se sont d’ailleurs croisées qu’après plusieurs kilomètres de course mais j’ai envie de me convaincre que le destin réserve parfois un heureux sort. Et même sans échanger beaucoup de mots, nous nous sommes tout de suite bien entendus.

Sans toi, je crois d’ailleurs que je ne serais pas allé plus loin que le 35ème kilomètre. Et pourtant, c’est bien à ce moment-là que nos routes communes de presque 25 kilomètres se sont séparées. Tu semblais encore lucide et pleine d’énergie quand de mon côté, je n’étais plus qu’une piteuse carcasse à la recherche de je ne sais quel second - voire troisième ! - souffle.

Et si je t’écris, c’est justement pour te raconter cette partie de l’histoire que tu ne connais pas encore. Car je te dois la vérité. Tu es marathonienne toi aussi et il serait futile et puéril d’enjoliver une réalité dont tu devines peut-être déjà le déroulement. Ou pour moi, les 7 derniers kilomètres d’un marathon trop long et trop difficile.

Il y aurait certes beaucoup à dire sur ce qui a fait notre marathon de La Rochelle commun jusqu’au ravitaillement du 35ème kilomètre mais ces souvenirs, nous les partageons avec des milliers d’autres coureurs et nous le savons trop bien, ce qui fait le sel d’un marathon, son aura et son magnétisme, ce sont ces quelques milliers de mètres avant de franchir la ligne d’arrivée. Cette distance à la fois si courte au regard de celle déjà parcourue et si longue quand les jambes commencent à peser bien plus lourd que ce que nous sommes capables de soulever.

Je me dois de te l’avouer, je crois que tu m’as sauvé la vie, sans forcément le savoir. N’y vois ici aucune exagération de ma part ou une quelconque flatterie de circonstance car il me semble raisonnable d’accorder son sens premier à l’expression. En effet, tu t’en étais rendue compte par toi-même, depuis quelques kilomètres déjà, tu devais jeter des regards de plus en plus nombreux en arrière, jusqu’à ralentir de plus en plus souvent pour me permettre de revenir à ton niveau. A cours d’énergie, c’est à la force de la volonté que je me suis trainé jusqu’à l’oasis tant attendue du 35ème kilomètre.

Quand je dis que tu m’as sauvé la vie, c’est donc une réalité. « Bois un verre de glucose ». Et je t’ai écoutée. Cette simple attention a été salvatrice, j'en suis certain. Oh, pas immédiatement, car quand je t’ai annoncé quelques centaines de mètres plus tard que je n’avais plus de jus et que je t’ai demandé de continuer ta course seule jusqu’à l’arrivée – tu as quand même pris le soin de me faire promettre d’aller au bout moi aussi en me disant que tu serais là pour m’encourager lorsque je foulerais enfin ce fameux tapis bleu – j’ai attendu qu’à la faveur de notre éloignement sans cesse croissant et de quelques virages, tu ne puisses plus me voir.

Et je me suis arrêté. Lamentablement. Je me suis même assis. J’ai même songé à abandonner. J’ai même fermé les yeux avec une irrépressible envie de dormir et de plonger dans le confort d’un profond sommeil… Alors, l’espace de quelques secondes, je n’ai plus eu mal nulle part. J’ai juste eu un peu froid. L’automnale brise marine, certainement.

Puis, alors que j’étais toujours assis et installé dans ma cotonneuse léthargie, j’ai senti une présence, confirmée par une voix à la chaleur rassurante. J’ai donc rouvert les yeux. Un bénévole de la course :

- Tout va bien ?
- Oui, je vais repartir.
- Bonne chance !
- Merci !

Et je suis reparti. Mon arrêt inopiné a duré deux, peut être trois minutes, guère plus. Je ne sais pas réellement. Le jour où j’aurai le courage de regarder les données affichées par mon cardiofréquencemètre, je le saurai. Mais je n’en ai vraiment pas envie pour le moment. Quoi qu’il en soit, cette halte fut suffisante pour que le glucose commence à faire effet et terrasse la méchante fatigue qui commençait à me gagner.

Pour me donner du courage, j’ai pensé à ma chérie et mes parents venus m’encourager avec toute la ferveur nécessaire pour ce genre d’événement. Et j’ai pensé à toi aussi, que je devais arriver au bout, coûte que coûte. Certains trouveraient des ressources dans une croyance ou quelque dieu. En un sens, je les envie car il est des circonstances où la foi en une force supérieure doit certanement aider à tenir debout. Mes seuls versets à moi, souvenirs d’un proche passé professionnel, sont ceux de Sainte Umma Thurman, égérie d’une marque milanaise de voitures au cœur sportif :

Sono fatto della stessa materia di cui sono fatti i sogni. Senza cuore saremo solo machine.

Je suis fait de la même matière que les rêves. Sans cœur, nous ne serions que des machines.

Je te passe les détails de ma procession sur le port des minimes. Je peux juste te dire que j’ai dû pas mal marcher en attendant qu’une crampe à un quadriceps cesse de me donner de traîtres coups de poignards. J’ai avancé comme cela, porté par le public resté nombreux malgré l’heure avancée jusqu’au portique du dernier kilomètre. Le vieux port. Une nouvelle vie.

Tu as certainement dû ressentir la même impression en longeant les quais quelques minutes avant moi. Pour ma part, je me suis imaginé comme un coureur du Tour de France qui termine l’ascension du Tourmalet. Des spectateurs partout, m’encourageant, criant mon nom et m’ouvrant la route comme si je me frayais un chemin au milieu d’une véritable marée humaine. C’est un sentiment unique, très fort qui donne une vigueur et une énergie insoupçonnables. Le plaisir dans la douleur. Non, au delà de la douleur.

Quelques centaines de mètres encore à tenir, tout proche du but. Et c’est là que j’ai entendu ta voix au milieu de tant d’autres. « Alleeeeeeeeeeeez !» . Coup d’œil sur la gauche pour t’apercevoir. Tu as dû à ce moment voir un large sourire se dessiner sur mon visage. Il t’était bien entendu destiné.

Dernier virage et grosse émotion. Ma maman émue aux larmes m’encourage alors que je suis à moins de 50 mètres de mon Graal. Je n’aime pas faire pleurer ma maman et cette seule idée m’arrache un sanglot.

Coup d’œil dans un ciel gris insondable en serrant les poings. Ma bonne étoile. Un dernière foulée et ça y est. Stop.

Dans notre conquête de l’inutile, à la recherche de nos limites, le chronomètre n’a que peu d’importance. L’essentiel est ailleurs. Peut-être que ne routes ne se croiseront plus jamais. Ou peut-être que oui. En tout cas, et quoi qu’il arrive, je sais que nous resterons à jamais liés par ce fil invisible, à la fois fragile et incassable, qui rapproche les individus dans les épreuves et la difficulté, à l’image de frères d’armes revenus d’un lourd combat.

Pour moi, tu auras marqué ce 25 novembre 2012 à l’encre indélébile et par ces quelques mots, je voulais seulement te remercier de ton soutien et te dire que j’ai été heureux et fier de te rencontrer. La médaille que je porte autour du cou, je te la dois.

A bientôt… je l’espère.Porte-toi bien.

P.S : Mes copains de CCAP m’ont fait une belle surprise à l’arrivée en me gratifiant d’une magnifique ovation. Dire qu’ils m’ont attendu tout ce temps alors qu’ils ne devaient rêver que d’une bonne douche et d’un repas (ainsi que d’une pinte de bière pour Sabine), cela m’a beaucoup touché. La course à pied est décidément un bien beau sport d’équipe.

P.P.S: Je dois être réaliste, le marathon, ce n'est pas fait pour moi. Je pense que cette tentative sur le marathon de La Rochelle aura été la dernière.

P.P.P.S : J’ai trouvé un cadre pour mettre mon dossard et ma médaille à l’intérieur. J’ai bien envie de demander au père Noël de le déposer sous le sapin pour ma maman.

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